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3 mars 2009

La Disparition et Les Revenentes

Anton Voyl n'arrivait pas à dormir. Il alluma. Son Jaz marquait minuit vingt. Il poussa un profond soupir, s'assit dans son lit, s'appuyant sur son polochon. Il prit un roman, il l'ouvrit, il lut ; mais il n'y saisissait qu'un imbroglio confus, il butait à tout instant sur un mot dont il ignorait la signification.
Il abandonna son roman sur son lit. Il alla à son lavabo ; il mouilla un gant qu'il passa sur son front puis sur son cou.
Son pouls battait trop fort. Il avait chaud. Il ouvrit son vasistas, scruta la nuit. Il faisait doux. Un bruit indistinct montait du faubourg. Un carillon, plus lourd qu'un glas, plus sourd qu'un tocsin, plus profond qu'un bourdon, non loin, sonna trois coups. Du canal Saint-Martin, un clapotis plaintif signalait un chaland qui passait.
Sur l'abattant du vasistas, un animal au thorax indigo, à l'aiguillon safran, ni un cafard, ni un charançon, mais plutôt un artison, s'avançait, traînant un brin d'alfa. Il s'approcha, voulant l'aplatir d'un coup vif, mais l'animal prit son vol, disparaissant dans la nuit avant qu'il ait pu l'assaillir.
Il tapota d'un doigt un air martial sur l'oblong châssis du vasistas.
Il ouvrit son frigo mural, il prit du lait froid, il but un grand bol. Il s'apaisait. Il s'assit sur son cosy, il prit un journal qu'il parcouru d'un air distrait. Il alluma un cigarillo qu'il fuma jusqu'au bout quoiqu'il trouvât son parfum irritant. Il toussa.
Il mit la radio : un air afro-cubain fut suivi d'un boston, puis un tango, puis un fox-trot, puis un cotillon mis au goût du jour. Dutronc chanta du Lanzmann, Barbara un madrigal d'Aragon, Stich-Randall un air d'Aïda.

La Disparition (1969)

e

Hélène crêche chez Estelle, près de New Helmstredt street, entre Regent's Street et le belvédère. "Défense d'entrée", me jette le cerbère. Sept pence le dégèlent et j'entre, pépère.
Hélène est chez elle. Je prends le verre de Schweppes qu'elle me tend et me trempe les lèvres. Je desserre mes vêtements et m'évente.
- Qel temps !
- Trente-sept degrés !
- C'est l'été
Hélène me tend des kleenex. Je me sèche les tempes, lentement.
- Prends le temps ! Ne tepresse pas !
Elle semble se délecter, je sens q'elle se refrène, q'elle espère entendre les évènements récents ; en effet, prestement , elle me jette :
Bérengère est chez l'Evêqe ?
- Yes.
- Excellent ! Les évènements se pressent !
- Q'est-ce qe t'espère, Hélène ? Des nêfles !
- Ben merde, les perles et les ferrets de Bérengère me tentent !
Je tempère l'effervescence entêtée d'Hélène.
- C'est chercher l'échec ! L'évêché est cerné : cent tentes dressées près des entrées, cent trente Fédérés brevetés et experts le défendent, c'est dément !
- Peste de ces empêchements ! Je cherche qelqe brèche et je perce, le reste se perpètre d'emblée.

Les Revenentes (1972)

Perec1

Georges Perec (7 mars - 3 mars)

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Commentaires
L
J'ai "La disparition" en bonne place chez moi, c'est un sacré exercice, je l'ai testé une fois en atelier d'écritures et ça n'était pas du gâteau. J'ai envie de faire comme Fantasio et relire moi aussi "La vie mode d'emploi". :-)
F
Sacré Perec ! Avec lui, on peut vraiment parler de magicien des mots. Son plus beau livre (à mon avis) est aussi une bizarrerie. LA VIE MODE D'EMPLOI est un puzzle littéraire avec des descriptions si rigoureuses qu'elles en deviennent exhaustives et ne laissent pratiquement plus aucune liberté d'imagination au lecteur. Perec avec ce bouquin a créé un "livre-cinéma" ! <br /> Tiens j'ai envie de le relire du coup. C'est malin !<br /> ;-)
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