La première louche de caviar
En cette période d'aube Sarkozienne (j'allais écrire sarkozhyène, mais je ne voudrais pas m'attirer les foudres de Joe Dalton, le peut-être futur vainqueur), en cette période donc de prospérité qui s'annonce pour nous, classe privilégiée (que les autres se démerdent), je vous ai choisi un petit texte dont le titre donne le titre de l'ouvrage duquel il est tiré; c'est un recueil de petites "fantaisies" déclinées par Emmanuel Tronquart & Guy Zilberstein; c'est édité chez Ramsay.
La première louche de caviar
Il
faut le manger tout seul. Ce trésor gluant extrait des entrailles de
l'esturgeon balkanique doit ignorer le partage. D'abord il y a la
boîte, bleue et ventrue, rapportée en fraude par Nadia, ex-officier du
KGB, reconvertie en chef de cabine sur Aéroflot. Il faut l'ouvrir
délicatement avec la pointe d'un couteau que l'on a dans sa poche.
Ouvrir la boîte, naturellement, pas Nadia, dont l'haleine teintée de
vodka a fait sombrer plus d'un diplomate occidental en poste à Moscou.
Une fois débarrassée de son hymen métallique, la boîte dévoile à
l'agresseur les charmes suaves d'un agrégat aux reflets magnétiques.
C'est au tour des blinis d'offrir maintenant sa surface à la caresse de
la spatule. Mais le désir est trop fort. On ne peut se contenir.
L'agacement de tous les sens, provoqué par le parfum insolent de la
laitance, vous a déjà fait chavirer. Vous n'êtes plus tout à fait
vous-même ni tout à fait Béria. La louche posée sur l'évier sera l'arme
du crime. Cet ustensile d'une irréprochable probité qui, hier soir,
s'est prêté au rite séculaire de la soupe au potiron, va basculer dans
l'opprobre. Dans sa convexité hémisphérique, il va accueillir d'un seul
coup le salaire hebdomadaire de plusieurs cadres supérieurs.On le porte
à ses lèvres, à sa bouche, à sa hure, à son groin. On avale sans
mâcher. Le menton se constelle de petits kystes argentés. Un jus
noirâtre fait de bave et de sécrétions esturgeonnesque ruisselle le
long du cou. Le souffle s'est fait court. Un léger râle ponctue comme
un glas le silence thanatique dont la cuisine s'est enduite. Les doigts
collent au robinet alors que l'on s'apprête à faire disparaître toute
trace de l'épouvante dont le grille-pain vient d'être le témoin.
Mais
soudain, alors que l'onction du caviar exerce encore son action
hypnotique sur la paroi de l'œsophage, une minuscule goutte de sueur
froide dégringole le long de l'épine dorsale. "Et si l'esturgeon
caviarifère s'en était aller goûter l'exquise tendresse de l'herbe
aquatique du côté de Tchernobyl ?..." Son oviparité naturelle l'aurait
alors conduit à concentrer au sein de sa laitance suffisamment de
roentgens ... bref, suffisamment de saleté radioactive pour éclairer
pendant plusieurs siècles Broadway aux heures de pointe. Le
haut-le-coeur est là. On a saisi la boîte tandis que, dans un réflexe
rétro-bulbaire, le pied droit vient appuyer sur la pédale de la
poubelle chromée. La paroi du réceptacle s'est à peine refermée sur le
trésor empoisonné que l'on croit déceler, dans son regard enfiévré
reflété dans le mélangeur de l'évier, une lueur verdâtre qui aurait de
quoi affoler le plus optimiste des compteurs Geiger.
Fin de citation
Pour trouver du caviar, vous pouvez aller chez n'importe quel distributeur il vous suffit de choisir le bon quartier, pour le bouquin, par contre, il a l'air d'être épuisé chez Amazon et chez Alapage et je ne l'ai pas trouvé à la FNAC non plus. C'est dommage.
Il ne vous reste plus qu'à faire comme moi, écumez vos bibliothèques municipales.
Bonne chance.