Le rire du rat

Que les chiens, que les chats pensent et ressentent des émotions, passe encore. Les oiseaux à la rigueur, les singes évidemment. Mais les rats ! Qui se soucie de la pensée des rats.

Vinciane Despret, par exemple. Au point d'avoir publié un passionnant petit essai sur le sujet, Penser comme un rat aux éditions Quae. Philosophe et psychologue à l'université belge de Liège, cette chercheuse au parcours singulier s'intéresse depuis logtemps au point de vue de l'animal, notamment lorsque celui-ci est traité par l'humain comme sujet expérimental. Dans ce livre, elle témoigne que ce point de vue fait désormais partie, et de façon croissante, des préoccupations de la science. Que certains chercheurs en ont modifié leurs protocoles, leurs questionnements, leurs manières de s'adresser aux bêtes.
Une évolution qu'illustrent deux expériences menées avec des rats à un siècle d'écart, dont l'esprit diffère de façon radicale.

La première date de 1907, et revient à l'américain John Watson, fondateur du béhaviorisme. Désolé de constater que la perception du rongeur influence ses capacités d'apprentissage, il lui retire les yeux, le bulbe olfactif et les vibrisses avants de le lancer à la découverte d'un labyrinthe. Et comme le rat ne veut plus ni courir, ni rechercher des récompenses, il l'affame. "Il commença à ce moment à apprendre le labyrinthe et finalement devint l'automate habituel", note-t-il alors. Commentaire cinglant de Vinciane Despret :"Tout ce que ça prouve c'est que, si on enlève à un psychologue sa conscience, il continue d'écrire".

Nettement plus réjouissante, la seconde expérience est due au neuropsychologue Jaak Panksepp (Université de Washington), spécialiste réputé du cerveau émotionnel. Les rats, annonce-t-il en 2007, "rient" en ultrasons lorsqu'un chercheur les chatouille. Un rire semblable à ceux qu'on entend lorsqu'ils jouent, un rire que n'importe qui, avec un peu de douceur et d'attention, peut apprendre à provoquer. Sauf, précise-t-il, si les rats vivent dans des cages proches de celles des chats, s'ils sont trop stressés ou fréquemment punis.

De Watson à Panksepp, quel changement dans le regard sue ceux qui ne parlent pas ! Et quelle bonne nouvelle ! Alors que le bébé - Dolto oblige - a depuis longtemps accédé au statut de personne, l'animal est en train de devenir un être. Doué de curiosité, de sensibilité, d"émotions positives. Chatouillez le rat, il rira. Et s'il s'ennuie, c'est qu'il est vraiment mort.

Source : Catherine Vincent, Le Monde Magazine