Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Abracadablog
Abracadablog
Publicité
Archives
11 novembre 2009

Allons-z-Enfants

Lorsque j'ai fait mon service militaire, après 1 mois de "classes", j'ai été affecté, pour le reste du temps à faire (15 mois) dans les locaux de l'état-major de l'Armée de l'Air à Paris. Superbe planque dont je me suis demandé longtemps à qui je la devais, n'ayant aucun piston digne de ce nom à faire jouer. Sans doute était-ce dû à mon incapacité viscérale à me servir d'une arme à feu que les juteux de mon 1er mois de bidasse ont très vite découverte. Bref, je me suis donc retrouvé rue Saint-Didier, dans le XVIème arrondissement en compagnie de quelques autres planqués. Tout au début on nous a donné une liste de romans, revues, quotidiens qui étaient interdits de lecture. En tête de la liste catégorie "romans" figurait  Allons-z-Enfants d'Yves Gibeau. Evidemment, c'est donc le premier livre que j'ai acheté au libraire du coin, et j'ai bien fait car c'est un roman beau et fort.

 

gibeau          


Quelques décennies plus tard, je suis tombé par hasard sur un texte de Boris Vian que je vais vous reproduire ci-dessous.

Préambule : En cette année 1952, tandis que le maréchal Alphonse Juin entrait triomphalement à l'Académie française, Yves Gibeau, ancien enfant de troupe, faisait paraître chez Calmann-Lévy son livre Allons-z-Enfants, aussi peu militariste que possible. Yves Gibeau et Boris Vian habitaient alors le même immeuble du 8, boulevard de Clichy et se voyaient fréquemment.

Cela se sait toujours. Dans le même temps que l'Académie dite française, avec un ensemble touchant, se découvrait devant l'ineffable Juin, le Ministère de la défense dite nationale, par diverses voies mystérieuses, agissait d'une part auprès de la Radiodiffusion gouvernementale pour couper ou supprimer certaines émissions, d'autre part auprès du jury Interallié afin d'éviter, comme il en était fortement question, que ces plaisantins ne couronnassent le livre de Gibeau Allons-z-Enfants.
Car tel est aujourd'hui l'homme à abattre. Et gageons qu'avec un ensemble touchant, chacun va s'incliner devant les consignes de la clique des culottes de peau. Sacrilège insigne : Gibeau, qui sait de quoi il parle - il a passé quinze ans de sa vie sous l'uniforme dont quatre dans un camp de prisonniers -, Gibeau a osé dire du mal de ces messieurs, du petit morceau de bambou et de la feuille de chêne réunis.

Le Ministère de la défense nationale ? De la défense de quoi, au fait ? Serait-ce que ce "défense" est entendu dans le sens d'interdiction ? Devrait-on pas abandonner cette vieille idée qu'il y a quelque chose ou quelqu'un à défendre en France, hormis le militaire et son dévoué collaborateur, le politicien ? La liberté ? Elle se défend toute seule, voyons ... c'est si simple : elle a des ailes, elle s'en va. Pas folle la liberté.
Mais nous, nous restons là. Sans liberté, mais avec le Ministère de la défense nationale, et le maréchal Juin. Qu'il se trouve un aréopage de gâteux (ô Topaze de jadis, qu'allas-tu faire dans cette galère) pour couronner une baderne, passe encore; si la longévité de l'académicien est proverbiale, celle du maréchal la dépasse encore. Et en Juin, on a rendu un hommage tardif à la durabilité de feu Pétain. Mais que les adjudants ne se contentent pas de saboter les finances françaises pour des décennies françaises et viennent fourrer leur groin dans la littérature, alors là, minute, m'n'adjudant, faut ce qu'il faut, mais faut pas charrier.

Le plus tragique de l'histoire, c'est que ça va se passer comme ça. Comme une lettre à la poste. Comme une élection d'un Eisenhower. Gibeau aura pas le Prix Interallié, et son émission ne passera pas, et il peut bien crever, ce Gibeau-là, pourvu que la légende glorieuse ne souffre aucune atteinte. Et huit sur dix des gens qui font profession de défendre la liberté d'écrire vont applaudir, parce qu'après tout, eux aussi écrivent des bons livres, parce qu'ils en ont un peu peur de la police, ces gens-là sont armés, hein, et parce qu'un écrivain muselé, ça fait un peu de place pour les autres.

La collusion d'une partie de la presse et des représentants de l'ordre, qu'il soit militaire ou policier, est un des phénomènes les plus frappants de l'heure. Les plus frappants, les plus encourageants aussi. Quand on montre ainsi à visage découvert le faciès de la dictature et de la lâcheté, on constitue une bonne cible. Et dieu merci, les marchands de canons ne nous laisseront pas tomber. Dans ce secteur-là, la production marche à plein. Et c'est rare s'il n'y a pas quelques caisses qui s'égarent ; heureusement pour nous, le marchand de canons n'a qu'une politique, le commerce. A nous d'offrir plus que ceux d'en face. Nous avons la même monnaie, notre peau. Ne la laissons pas s'égarer dans les mauvaises mains. Messieurs du Ministère, n'oubliez jamais : un soldat sans général peut faire du dégât, mais un général sans soldats retrouve tout de suite sa vraie place : le poteau, la Chambre des députés, ou l'Académie française, selon le genre de pourriture qu'il a choisi.

Quel beau texte, hein ? Ca fait du bien de lire ça en ces périodes de renoncements et de retours en arrière.
Je trouve que le 11 novembre est une date idéale pour lire de tels mots. On célèbre aujourd'hui les morts que quelques ganaches de chaque camp ont causées en jetant les uns contre les autres quelques millions de bougres qui ne savaient même pas, dans cette boucherie, pour qui ils laissaient leur peau.

Tiens, aujourd'hui, si je passe près d'un monument où quelques anciens trembloteront en attendant le kir tiédasse offert par la mairie, je la respecterai la minute de silence, en l'honneur d'un seul mort, Yves Gibeau.

gibeau1

Publicité
Publicité
Commentaires
J
Je lis cet article un peu tardivement pour réagir, mais après tout...<br /> <br /> C'est curieux, mais j'ai l'impression que chacun voit midi à sa porte. En tant qu'ancien pensionnaire de cette école de 1953 à 1959, je n'ai pas du tout le ressenti d'yves Gibeau ni des commentateurs ci-dessus, pourtant anciens de l'école, comme moi.<br /> <br /> Pour ma part, j'ai très bien supporté ce séjour, qui m'a permis de faire des études approfondies jusqu'à Bac +5, alors que mon père, initialement, voulait m'arrêter au certificat d'études pour aller bosser. Je n'ai pas souvenir de sous-officiers alcooliques, ils étaient pour la plupart assez coulants sur la discipline, les profs étaient bons pour la plupart, et dans l'enceinte de l'école on jouissait d'un certaine liberté pour peu qu'on se conforme aux règles de base (horaires, respect, politesse), ce qui est la moindre des choses.<br /> <br /> Le livre d'Yves Gibeau est donc pour moi très loin d'un reportage, c'est d'abord un roman, fort intéressant en tant que tel, et que j'ai lu d'ailleurs pendant que j'étais dans l'école, sans souci particulier.<br /> <br /> Bien sûr, j'ai souvenir de certains enfants qui ne supportaient pas l'éloignement prolongé loin de leurs parents, et certains sont partis. Mais c'est plutôt une question de ressenti ou de sensibilité personnelle qu'un état de fait dû à l'encadrement militaire. Ces personnes auraient été tout autant malheureuses dans un pensionnat traditionnel ou religieux.
G
Pupille de la nation j'ai été "interné" à lâge de 6 ans à l'Ecole Militaire Hériot puis Les Andelys pour finir à Autun. Encadré par des types névrosés de retour d'indochine ou autre territoire de guerre post-coloniale, j'ai subi l'humiliation de ces alcooliques en uniforme. <br /> Pris en otage par l"Etat j'ai quitté cet asile pour me retrouver racketté par le Trésor Public pour mes fraisd'entretien (?). La vie d'un père mort pour la patrie n'acait donc aucune valeur ????<br /> Je ne comprends pas comment on peut devenir militaire sauf à avoir été bien formaté. Raté pour moi qui ai débuté mon service militaire par trois de prison ferme ! <br /> Le roman d'Yves Gibeau n'est pas du roman, c'est un reportage.
Z
Salutations, je me prénomme Yves également, et la boîte à claques où Yves Gibeau a campé Simon je la connais bien (EMP Les Andelys), j'y ai passé 7 années et me suis frotté à ces culottes de peau, sous-offs anciens enfants de troupe pour la plupart, ivrognes, violents, veules et à genoux devant les officiers eux mêmes soit totalement pourris soit jeunes émoulus d'une quelconque école (sortis du rang parfois) et teintés d'une sorte d'esprit maurrassien. J'ai eu ma jeunesse totalement défigurée par cet épisode, bien que je n'en veuille pas à mon père qui comme l'adjudant Chalumot m'aurait souhaité un avenir d'officier. Mais... l'armée m'a vite dégoûté. Mon père sous-off issu de ceux des jeunes volontaires qui combattirent pour la France en 45, rêvait de me voir avec des barrettes sur l'épaule. Lui-même quitta l'armée suite à la guerre d'Algérie.
W
J'ai écrit "25 mois". Il faut lire "13 mois" !<br /> Ah ! Vieillesse !
W
Je connais intimement certains militaires: je ne la hais point, ce ne sont pas tous des imbéciles. Je hais l'institution qui les gouverne (quel superbe témoignage tu apportes avec cette liste de lectures interdites...!)<br /> "Allons enfants" figurait dans la modeste bibliothèque de mon père, à côté de Breffort, Cami, Alphonse Allais, Vian Prévert ... j'en passe.<br /> ... j'ai eu plaisir à lire, dans ce texte de Vian: "Quand on montre ainsi à visage découvert le faciès de la dictature et de la lâcheté..." : "dictature", c'est le mot qui m'est venu pour commenter l'incroyable pataquès sarkozien, à propos des coups de pioche du 9 (ou 10 ou 11) novembre et, hier, la non moins incroyable déclaration de Raoult dont parle Fantasio ci-dessus : on réécrit le passé pour embellir le présent ! Cette république devient toxique ! Le vaccin de Rosy n'y pourra rien : un méchant virus se répand depuis 30 mois... et l'expérience du passé ne nous a pas vaccinés !<br /> -------------<br /> Ps: Bravo, ami, pour cette fête du 31/10, de laquelle chacun aurait aimé être... même les invités virtuels par modem interposé.<br /> Dans 25 mois, je t'enverrai une invitation à mon tour. Amitiés Wana
Publicité