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26 février 2015

L'homme-dé - seconde partie -

... suite ...

Dans toutes les circonstances de la vie, désormais, Luke consulte le dé et, puisqu'il a six faces, lui soumet six options. La première, c'est de faire comme il a toujours fait. Les cinq autres se démarquent plus ou moins nettement de cette routine. Mettons que Luke et sa femme aient prévu d'aller au cinéma. Le nouveau film d'Antonioni, Blow-up, vient de sortir, et c'est exactement ce qu'un couple d'intellectuels new-yorkais comme eux doit aller voir. Mais ils pourraient aussi aller voir un film encore plus intellectuel, un truc hongrois ou tchèque encore plus chiant, ou au contraire un gros film commercial américain du genre qu'ils méprisent complètement à priori, ou bien un film porno dans un cinéma pour clochards de Bowery où des gens comme eux n'ont mis ni ne mettront jamais les pieds. Une fois soumis au dé, le choix le plus anodin, celui d'un film, d'un restaurant, d'un plat au restaurant, ouvre si on y prend garde un éventail très vaste de possibilités et d'occasions de sortir de sa routine. Luke, au début, y va doucement. Il choisit des options prudentes, pas trop éloignées de ses bases. Des petits pas de côté, qui pimentent la vie sans la chambouler, comme changer de place dans le lit ou de position dans le sexe conjugal. Mais bientôt ses options deviennent plus audacieuses. Il commence à considérer tout ce qu'il n'a encore jamais fait comme un défi à relever.

Aller dans le genre d'endroit où il n'irait jamais, entrer en relation avec des gens qu'il ne fréquenterait jamais. Entreprendre de séduire une femme dont il a relevé le nom au hasard dans l'annuaire. Emprunter dix dollars à un inconnu. Donner dix dollars à un inconnu. Se risquer dans un bar d'homosexuels, se laisser draguer, draguer soi-même et pourquoi pas, lui l'hétérosexuel affirmé, coucher avec un homme ? A ses patients, se montrer directif, impatient, despotique. A celui dont le symptôme est de se prendre pour une merde, lancer soudain :"Et si la vérité, c'est que vous êtes une merde ?" A l'écrivain en panne :"Au lieu de vous acharner sur votre roman à la con, pourquoi ne pas aller au Congo et vous joindre à un mouvement révolutionnaire ? Pourquoi ne pas essayer la fuite en avant ? le sexe, la faim, le danger ?" Et au grand inhibé :"Pourquoi ne pas vous taper ma secrétaire ? Elle est moche mais elle n'attend que ça. En sortant de mon cabinet, allez-y, roulez-lui une pelle, au pire elle vous gifle, qu'est-ce que vous risquez à essayer ?" Il pousse ses patients à quitter leurs familles ou leurs jobs, à changer d'orientation politique ou sexuelle. Les résultats sont désastreux et sa réputation s'en ressent, mais il s'en fout. Ce qui l'excite, à présent, c'est d'agir à l'exact opposé de son comportement habituel : saler son café, faire du jogging en smoking, aller en short à son cabiner, pisser dans les pots de fleurs, marcher à reculons, se coucher sous son lit et non dedans... Sa femme le trouve bizarre, évidemment, mais il lui dit qu'il tente une expérience psychologique et elle se laisse convaincre de le croire. Jusqu'au jour où lui vient l'idée d'initier les enfants.

...

(à suivre)

dé

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