Fanchette et Fleurien

Les trompes de Fallope de Franchette Kerpote avaient une forme qui aurait enthousiasmé bien des concepteurs de labyrinthes, quant aux spermatozoïdes de Fleurien, son mari, leur apathie les rendaient inaptes à pénétrer le plus complaisant des ovules, si bien que ce couple de fermiers était stérile.

Cette incapacité à se reproduire les chagrinait, car ils étaient pleins d'un besoin d'amour que ne comblaient entièrement ni la douceur des plumes de leurs poules ni les grands yeux humides de leurs vaches. Courageux comme on sait l'être dans nos campagnes, ils feignaient de s'être résignés à leur infortune, cachant derrière un sourire de façade ou dessous un bèret en feutre épais une amertume qui les poussait parfois, les nuits sans étoiles, à lancer avec discrétion de lourds cailloux pointus aux enfants des autres.

Un matin, une de leurs truies mit bas une portée de porcelets dont l'un avait forme humaine. Cet incroyable défi aux lois de la génétique déconcerta les scientifiques qui vinrent effectuer des prélèvements d'ADN et examiner le petit, ses géniteurs et les fermiers. Mais si ces experts prenaient du plaisir à se frotter le menton et se gratter le crâne en grommelant des "Hum" dubitatifs comme ils avaient appris à le faire dans les meilleures universités, ils se lassèrent de quitter systématiquement les lieux avec les chaussures crottées et préférèrent retourner à l'étude de phénomènes moins salissants.

Franchette et Fleurien se prirent d'affection pour le nouveau-né qu'ils élevèrent avec autant de dévouement que s'il s'agissait de leur propre progéniture. Le petit avait des cordes vocales et une intelligence suffisante pour pouvoir parler dès trois ans et, plus tard, être scolarisé. Ses résultats se situaient un peu au dessous de la moyenne, mais il était doté de rondeurs aimables et d'une bonne humeur communicative. Il ne rechiniait jamais à baisser sa culotte pour exhiber sa petite queue en tire-bouchon aux autres élèves hilares qui l'appréciaient au point que, lorsque les parents décidèrent d'en faire du jambon, tous en voulurent une tranche.

Vincent Haudiquet, pour Fluide Glacial, illustration Libon