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20 janvier 2011

Le Moment

Un homme attend, caché dans une encoignure ou près d'un arbre. Il a installé deux petits trépieds, l'un pour un appareil photo, l'autre pour une caméra vidéo. Nous sommes à l'aube, ou pendant la pause de midi. L'homme fait semblant de rien? Observe, parfois des heures durant. Puis se déshabille prestement, court nu devant l'objectif et se met à exécuter des pompes au moment où l'appareil se déclenche, avant de venir se rhabiller à toute vitesse. Le tout, affirme l'artiste chinois Ou Zhihang, l'auteur de ces autoportraits saugrenus, ne dure pas plus de huit secondes. Le temps que les gens se disent : "Je rêve, j'ai cru voir un homme nu !", sourit-il.

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devant le Potala, à Lhassa (Tibet)

La série, intitulée "The Moment", représente l'artiste nu, effectuant des pompes sur les lieux de faits divers ou d'évènements qui ont marqué l'opinion publique chinoise. Dans le civil, Ou Zhihang est animateur à la télévision du Guangdong, où il a longtemps présenté une émission consacrée à la mode.

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à côté d'une école de Wenchuan (Sichuan), détruite par le séisme de mai 2008

"Se déshabiller dans un lieu public, c'est très dur. Il y a beaucoup de dangers. Le plus difficile, c'est la préparation psychologique. Si je ne trouve pas le moment propice, je repars pour revenir un autre jour" explique-t-il. Ou Zhihang s'y est ainsi repris à quatre fois pour se photographier devant le distributeur automatique de billets, à Canton, tout près de chez lui, où un jeune paysan avait retiré des dizaines de milliers de yuans suite à un bug informatique de sa banque. Il a été condamné en 2007 à perpétuité mais, devant le tollé sur Internet, la justice a commué sa peine en cinq ans de prison.

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Malgré les risques - quand il est interpellé par des gardes ou des policiers, il explique qu'il est artiste, efface les photos incriminées et fait tout pour ne pas être emmené au commissariat - Ou Zhihang tient à mener jusqu'au bout sa série "The Moment", qui compte déjà plusieurs dizaines de photographies. La plupart d'entre elles le montrent devant des bâtiments laids et mal construits, sur des sols jonchés de détritus, dans cette Chine de l'envers du décor. "Ce n'est pas seulement moi qui construit ces photos, ce sont les médias, les internautes, les protagonistes, le gouvernement. Chacune de ces affaires renvoie à tout un contexte", soutient-il.
Ou Zhihang reconnaît que ses poses n'auraient pas été si bien accueillies par le public s'il n'y avait eu l'affaire de Wengan. En juin 2008, cette petite localité du Guizhou bascule dans l'anarchie après le prétendu suicide d'une adolescente. La population ne croit pas à la version de la police et saccage plusieurs bâtiments officiels. Trois jeunes hommes accompagnaient la victime quand elle s'est jetée dans la rivière ; la rumeur publique soupçonne ces fils d'officiels de viol. Dans la déposition de l'un d'eux, une phrase scandalise l'opinion : il faisait "juste des pompes" sur le parapet quand la jeune fille a sauté.
En pleine paranoïa préolympique, toute mention de Wengan est bannie dans les médias. Mais, pied de nez collectif à la censure, l'Internet chinois retentit d'une phrase codée : "Je fais juste des pompes." Et une photo, que tout le monde croit le résultat d'un montage sur Photoshop, fait le tour de la Toile : celle de l'excentrique animateur de télévision du Guangdong vient de mettre sur son blog, où il est nu devant le Stade olympique national, dans sa pose favorite.

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à proximité du Stade olympique national, le "Nid d'oiseau", à Pekin

"C'est une drôle de coïncidence, cet évènement à Wengan. C'est un peu le destin, un dialogue avec ce pays, avec l'histoire", dit Ou Zhihang. Sa bizarre obsession prend tout son sens subversif. L'artiste explique que si les pompes de Wangan symbolisent l'indifférence et le mensonge, sa démarche est inverse : il fait des pompes pour "attirer l'attention sur un phénomène social".

Le marathon de la série "The Moment", chronique de la Chine qui ne tourne pas rond, a commencé.

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devant la cité interdite

Source : Le Monde magazine

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Commentaires
S
Salut ! Je laisse un commentaire pour dire que je suis tombe par hasard sur cette page et que je le trouve interessant. Je reviendrais assurement.
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