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29 novembre 2009

Cauchemar en jaune

Il fut tiré du sommeil par la sonnerie du réveil, mais resta couché un bon moment près l'avoir fait taire, à repasser une dernière fois les plans qu'il avait établis pour une escroquerie dans la journée et un assassinat le soir.
Il n'avait négligé aucun détail, c'était une simple récapitulation finale. A vingt heures quarante-six, il serait libre, dans tous les sens du mot. Il avait fixé le moment parce que c'était son quarantième anniversaire et que c'était l'heure exacte où il était né. Sa mère, passionnée d'astrologie, lui avait souvent rappelé la minute précise de sa naissance. Lui-même n'était pas superstitieux, mais cela flattait son sens de l'humour de commencer sa vie à quarante ans, à la minute près.
De toute façon, le temps travaillait cotre lui. Homme de loi spécialisé dans les affaires immobilières, il voyait de très grosses sommes passer entre ses mains ; une partie de ces sommes y restait. Un an auparavant, il avait "emprunté" cinq mille dollars, pour les placer dans une affaire sûre, qui allait doubler ou tripler la mise, mais où il en perdit la totalité. Il "emprunta" un nouveau capital, pour diverses spéculations et pour rattraper sa perte initiale. Il avait maintenant environ trente mille dollars de retard, le trou ne pouvait guère être dissimulé désormais plus de quelques mois et il n'y avait pas le moindre espoir de le combler en si peu de temps. Il avait donc résolu de réaliser le maximum en argent liquide sans éveiller les soupçons, en vendant diverses propriétés. Dans l'après-midi il disposerait de plus de cent mille dollars, plus qu'il ne lui en fallait jusqu'à la fin de ses jours.
Et jamais il ne serait pris. Son départ, sa destination, sa nouvelle identité, tout était prévu et fignolé, il n'avait négligé aucun détail. Il y travaillait depuis des mois.
Sa décision de tuer sa femme, il l'avait prise un peu après coup. Le mobile était simple : il la détestait. Mais c'est seulement après avoir pris la résolution de ne jamais aller en prison, de se suicider s'il était pris, que l'idée lui était venue : puisque de toute façon il mourrait s'il était pris, il n'avait rien à perde en laissant derrière lui une femme morte au lieu d'une femme en vie.
Il avait eu beaucoup de mal à ne pas éclater de rire devant l'opportunité du cadeau d'anniversaire(la veille avec vingt-quatre heures d'avance) : une belle valise neuve.Elle l'avait aussi amené à accepter de fêter son anniversaire en allant dîner en ville à sept heures. Elle ne se doutait pas de ce qu'il avait préparé pour continuer la soirée de fête. Il la ramènerait à la maison avant vingt heures quarante six et satisferait son goût pour les choses bien faites en se rendant veuf à la minute précise. Il avait aussi un avantage pratique à la laisser morte : s'il l'abandonnait vivante et endormie, elle comprendrait ce qui s'était passé et alerterait la police en constatant, au matin, qu'il était parti. S'il la laissait morte, le cadavre ne serait pas trouvé avant deux et peut-être trois jours, ce qui lui assurait une avance bien plus confortable.
A son bureau, tout se passa à merveille ; quand l'heure fut venue d'aller retrouver sa femme, tout était paré. Mais elle traîna devant les cocktails et traîna encore au restaurant ; il en vint à se demander avec inquiétude s'il arriverait à le ramener à la maison avant vingt heures quarante-six. C'était ridicule, il le savait bien, mais il avait fini par attacher une grande importance au fait qu'il voukait être libre à ce moment-là et non une minute avant ou une minute après. Il gardait l'oeil sur sa montre.
Attendre d'être entrés dans la maison l'aurait mis en retard de trente secondes. Mais sous le porche, dans l'obscurité, il n'y avait aucun danger ; il ne risquait rien, pas plus qu'à l'intérieur de la maison. Il abattit la matraque de toutes ses forces, pendant qu'elle attendait qu'il sorte ses clefs pour ouvrir la porte. Il la rattrapa avant qu'elle ne tombe et parvint à la maintenir debout , tout en ouvrant la porte de l'autre main et en la refermant de l'intérieur.
Il posa alors le doigt sur l'interrupteur et une lumière jaunâtre envahit la pièce. Avant qu'ils aient pu voir que sa femme était morte et qu'il maintenait le cadavre d'un bras, tous les invités à la soirée d'anniversaire hurlèrent d'une seule voix :
"Surprise !"

brown
Fredric Brown


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Commentaires
S
Martiens, go home, aussi ? Brown est un nom calamiteux pour un écrivain, mais Frédric a réussi à casser la malédiction ;-) Qu'est-ce que ses short-short stories ont pu être pillées, exploitées sans qu'on le cite ! <br /> <br /> FB est une des découvertes que je dois à mon ami Tant-Bourrin, ainsi que la fascinante "Conjuration des imbéciles", de John Kennedy Toole.
F
Je vénère cet écrivain. Les amoureux de Lewis Carroll adoreront "La Nuit du Jabberwock" et que dire des romans "L'univers en folie" ou de "Martiens go home". Mais bien sûr ce sont ses courtes nouvelles qui ont fait la réputation de fredric Brown. Il faut lire "Fantômes et farfafouilles" ou "Une étoile m'a dit". Nan, il faut TOUT lire.
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