L'oiseau d'avril
L'oiseau d'avril, ou le chant matinal de l'auvergnat.
Il
pleut, il neige, il fait soleil, l'agneau bondit à côté de sa mère, la
poule pond déjà des œufs de Pâques, les épinards sont magnifiques:
c'est le mois d'avril. Il surexcite l'esprit humain. C'est en avril que
l'homme inventa La Marseillaise, le pôle Nord, le système métrique, l'hélicoptère et la Légion d'honneur.
Le
merle et le corbeau couvent leurs œufs verts. Jamais les prés n'ont
entendu tant de chants d'oiseaux: l'aigle glatit, l'alouette turlutte,
le merle siffle et le pinson lance des fanfares, l'auvergnat appelle
d'une voix rauque, le coucou coucoule et le ramier roucoule au loin.
Le
chant de l'auvergnat salue l'aurore, c'est le premier qu'on entend le
matin. Il habite la forêt, les prés ou la montagne et se plait à l'orée
des champs, qu'il rectifie, à l'occasion, à son profit. Sa plume est
noire, son ventre blanc, sa silhouette trapue et sa fibre serrée, sa
chair, qui vieillit avec l'âge, le rend impropre à la consommation. Ses
yeux qui luisent d'un éclat charbonneux, s'allument àb la vue des
choses qui brillent, ses regards perçants les voient de loin. Il les
retient dans ses serres puissantes. Il les emporte dans son nid. De
tous les oiseaux utiles, c'est le plus industrieux et même le seul qui
fabrique du fromage. Certains ornithologues contestent l'auvergnat
(Cuvier, Littré lui refusent la qualité d'oiseau), nul n'a jamais songé
à nier son saint-nectaire.
Moins brillant que l'oiseau-mouche,
plus vigoureux que l'homme et plus résistant que le cheval, il survit
aux plus durs hivers. Comme le gypaète barbu, il niche au flanc des
falaises vertigineuses. Du fond des vallées du Cantal on le voit faire
son, nid au sommet des montagnes, de pierrailles accumulées. Il le
couvre d'un chaume épais pour tenir chaud à ses petits. Nul ne détruit
mieux que lui les insectes nuisibles, les mulots, les vipères, les rats
qu'il découvre de haut, de son oeil de rapace. Il pique les boeufs au
moment des labours; son chant encourage l'agriculteur. Il est fidèle et
monogame, et capable de longs parcours; on le trouve en Asie, en
Afrique. Ses migrations l'amènent en hiver dans les villes où il se
nourrit de miettes de pain; il rejoint sa femme au printemps dans les
monts du Massif central. L'auvergnat de prairie, au contraire, part
l'été pour les hauts alpages où il vit parmi les troupeaux. L'auvergnat
à tête grise reste aux abords du nid. Il ne fuit pas la société des
hommes et s'attache aux gens qui le nourrissent, on l'aperçoit souvent
aux terrasses des cafés ou dans les auberges des bourgs.
L'auvergnat
peut vivre cent ans. On l'apprivoise avec du lard. Il dépérit
généralement en captivité, où il refuse de se reproduire. Mais, quand
on réussit à lui faire surmonter sa paresse et sa répugnance, il imite
à la perfection, comme le geai des bois et le perroquet, le langage
humain ou même le hollandais. On en a connu un qui avait appris
l'allemand. Maint ornithologue lui attribue une intelligence plus
qu'humaine. Il es capable de résoudre des problèmes de mathématiques
qui effraieraient un jeune bachelier.
Lord S., en 1837, avait
ramené un auvergnat dans son comté. Il lui avait appris l'anglais et
les coutumes de son pays. Cet auvergnat se conduisait en tout comme un
personnage britannique. Il sautillait sur les pelouses du Devonshire et
charmait le lord par son babil. Le lord était un homme sujet au spleen:
il se prenait pour un chien-loup et vivait dans une niche en bois qu'on
lui avait bâtie dans son parc. Il avait dressé l'auvergnat, par un
système de menaces et de flatteries, à monter dans le tilleul voisin où
il lui faisait chanter Le Fantôme d'Edimbourg et plusieurs refrains de la marine. C'était un plaisir de les voir vivre ensemble et partager leurs jeux naïfs.
L'auvergnat
devenant vieux, on le couvrit de lainage et on le fit entrer au salon.
Il s'y tenait avec un geai dans une cage d'or. On mettait du porto dans
sa soupe et de l'alcool dans son café; pour le faire parler on lui
donnait du vin sucré. Comme on pensait qu'il souffrait de l'exil, on
laissa à plusieurs reprises la porte ouverte, mais il n'en profita
jamais. Il se plaisait à la conversation des gens les plus
considérables, tels que des amiraux en retraite et des juges à trois
marteaux.
Quand il mourut on l'enterra au fond du jardin. Cette
histoire prouve combien l'auvergnat est sociable et se plait dans la
compagnie des personnes les plus distinguées.