Urgence ! y a péricardite !
4 heures du matin, violente douleur dans le dos côté gauche.
Je me réveille en pestant encore contre ce maudit torticolis qui me prend parfois. J'ai beau bouger la tête dans tous les sens, ça ne passe pas. Bon, j'avance mon lever de deux bonnes heures, quitte à ne pas dormir autant que je sois le seul.
Je descends me faire mon café, procéder à quelques extractions matinales et préparer le petit déj' du petiot qui se réveille à la dernière minute pour partir à l'école. La douleur ne passe toujours pas. J'ai beau couvrir ce côté gauche d'une écharpe, faire les cent pas en bougeant la tête, ça vrille toujours autant.
Je me dis qu'il doit bien rester un fond de voltarène d'une dernière sciatique et que ça devrait faire l'affaire. J'arrive à le dénicher et madame Claudius, réveillée par mes allers et venues, me tartine. Peine perdue, la douleur est toujours aussi intense et commence à envahir le haut de la cage thoracique. Conciliabules familiaux, on se résout à appeler le médecin de nuit. Celui-ci arrive au bout d'une petite heure qui m'a paru à moi dépasser ses limites de 60 minutes.
Je raconte mes aventures; électrocardiogramme à peu près normal, c'est assez rassurant, mais devant la douleur qui ne s'atténue pas et commence à envahir le haut de la poitrine, il nous conseille les urgences.
Ok.
On attend tout de même le départ du môme à l'école et nous voilà en route pour l'hôpital de Melun.
Accueil sympa, pas de monde, je suis le seul en fait. Je tombe assez mal puisqu'il est 7h30 et que la vacation de l'équipe de nuit se termine à 8 heures. Je suis néanmoins très bien traité par internes et infirmièr(e)s qui me branchent à un tas de trucs et commencent une série d'examens de situation. Je raconte mes symptômes aux internes successifs. Aux électrocardiogrammes succèdent des prises de tensions, puis des interviews, puis de nouveaux électros, etc. Premier traitement, la projection d'un produit sous la langue.
J'avais déjà entendu parler de ce produit par quelques cardiaques de mes connaissances. Je ne suis pas du genre à m'affoler mais je commence à envisager un futur passablement raccourci ce qui me conduit à faire une petite liste de choses que j'aurai du faire pour que ceux qui restent ne soient pas embêtés.
J'ai froid, juste couvert de ma protection graisseuse habituelle et d'une blouse de l'hôpital (taille S ou M, j'ai pas vu) qui ne couvre que ma partie supérieure de la poitrine jusqu'à mi-cuisse. J'ai les pieds gelés. On finit par m'amener dans une salle de réveil. Les examens se poursuivent un à un permettant des levées de doutes successifs. Les internes (très gentilles) qui se succèdent m'expliquent le cheminement de leurs pensées en ce qui me concerne. C'est très rassurant. Un infirmier m'a couvert d'un drap puis d'une couverture qui sont les bienvenus. Effet psychosomatique ou pas ? la douleur a quitté le dos et se stabilise en haut de la poitrine avec parfois des montées le long des carotides. Ça va mieux, j'ai chaud, madame Claudius est rentrée à la maison (ça m'enlève un poids de la savoir hors de cet hôpital qui représente tout de même une atmosphère pesante); dans l'échelle de 1 à 10 de la douleur, je suis passé de 8/9 à 6/7; Elle se cantonne maintenant aux moments d'inspirations.
Mon lit a été positionné dans un coin où il ne gène pas les gens qui sont assez nombreux à traverser cette salle ou à y stationner. Je suis le seul patient, mais tous les membres de l'équipe de jour passent de temps en temps, s'arrêtent, discutent de choses et d'autres. Dans cette salle de réveil, je me trouve paradoxalement dans un état de demi sommeil. Un truc qui, au bras, me prend la tension tous les quarts d'heure, me tient partiellement éveillé et , presque comme un meuble, je partage la vie de l'équipe de jour des urgences de l'hôpital de Melun.
Je passerai la journée ici. C'est une journée calme niveau "urgence". J'entends juste parler d'une tentative de suicide (tranchage d'une veine puis plongeon dans la Seine pour bien se finir, peine perdue, c'est raté), d'une pocharde obèse sans abri ramassée en fin de nuit et qu'on mettra dans une pièce spéciale qu'il faudra ensuite désinfecter.
Un des infirmiers (Aziz) narre à une jeune débutante l'historique des appareils "assistants respiratoires". Du coup j'apprends pas mal de choses. Celui-ci passera ses moments calmes à réviser un concours qu'il doit passer dans quelques jours. Deux autres, originaires du pays basque discutent "vélo". Ils font tous les deux des courses de tout-terrain et l'un des 2 vend son engin. Il l'a mis sur un site internet, mais finira par le placer à Aziz.
De temps en temps, une petite plongée dans le sommeil provoque un ronflement de ma part; celui-ci me réveille et me permet d'apprécier les remarques des présents sur le dit ronflement. C'est gentil, ils ne me chargent pas trop, persuadés pourtant que je dors. L'équipe doit préparer une réunion sur les congés. Dans mes périodes de non somnolence je discute un peu avec eux pour tromper mon ennui (rien à lire et de toute façon, je ne sais pas où sont mes lunettes). Ils ont 25 jours à prendre par an plus un supplément saisonnier de 3 jours. Ce n'est pas grand chose finalement. Les vacations sont de 12 heures (8h./20h. et 20h./8h.), 14 à 15 jours par mois. lorsque le service est rempli, les 12 heures passent vite et sont éprouvantes, lorsque c'est calme comme aujourd'hui, elles s'étirent et finissent par être aussi crevantes.
De temps à autres les internes viennent me tenir au courant et s'enquérir de l'évolution de la douleur qui s'est stationnée à l'indice 6, relativement supportable. Si supportable d'ailleurs que je commence, après 6 heures de position allongée sur le dos à me sentir mal à l'aise. Je bouge un peu, mais il m'est interdit de me lever tant que le scanner de ma cage thoracique n'aura pas été effectué.
- Et quand le sera-t-il ? interroge-je,
- Pas tout de suite parce que vous avez été inscrit en urgence et vous passez entre deux inscrits normaux de longue date, dès qu'il y aura un "trou".
Heureusement qu'il y a toujours des moments d'humour de situation comme ça pour remonter le moral. Ça pourrait être pire, me dis-je, je pourrais avoir envie de faire pipi.
A peine cette pensée a traversé mon esprit que ma vessie se réveille. Pour la forme, et connaissant déjà la réponse, je demande à aller aux toilettes. Négatif, il va falloir se servir d'un urinal appelé également "pistolet".
ça, c'est le modèle de luxe, le mien n'avait pas toutes ces sécurités d'étanchéité
A la vue de l'engin, je me dis que je vais essayer d'attendre le scanner pour pouvoir me lever et éviter ainsi toute une gymnastique dans cette pièce que la perspective d'essayer de pisser dans ce bidule me fait passer pour un hall de gare. Une heure plus tard, il va falloir se résoudre à procéder à l'opération. Après 5 bonnes minutes de gesticulation sous l'œil intéressé, limite goguenard des passants, j'arrive à me soulager. Quel pied! Vraiment, faire pipi alors que la vessie est pleine à péter est un plaisir gratuit qu'on a tort de ne pas utiliser plus souvent.
Quelques temps après, l'heure du scanner est enfin arrivée. Voyage dans d'interminables couloirs à la vitesse grisante de mon infirmier VTTiste qui négocie les virages au millimètre près. Je lui dis : "S'il y a un fil bleu pour ce trajet, tu l'as gagné haut la main, mon gars, je témoignerai !". L'appareil est situé dans une pièce grande comme un placard et mon lit occupe toute la place libre. Ils réussissent parfaitement l'opération transfert lit/appareil de la masse que je représente, de vrais pros ! En plus du VTT, ils vont pouvoir se diversifier dans le lancer du poids. Sans la couverture, les bras levés je passe et repasse, frigorifié dans la machine. Tout le monde s'est mis à l'abri, je suis seul dans la pièce avec cet anneau qui passe et me découpe radiologiquement en tranches fines; un carpaccio de Claudius congelé.
Retour dans ma salle de réveil pour l'attente des résultats. Visite de madame et de Cyril, c'est bon pour le moral et change ma routine. Ça fait maintenant une dizaine d'heures que je suis sur ce lit, branché des deux bras (appareil de mesure de tension et perf.) avec des trous partout suite aux différentes prises et analyse de sang et à l'introduction d'un anticoagulant par piqure ventrale. La gêne initiée par l'immobilisation finit par surpasser la douleur qui est passée au second plan; comme quoi, tout peut avoir des côtés positifs.
Arrivée de l'interne qui annonce bonne et mauvaise nouvelle. La bonne nouvelle, tous les examens, prises de sang, électros divers et variés, radiographie, scanner, etc. disent que l'infarctus et même l'angine de poitrine ne sont pas au rendez-vous. Le diagnostic s'achemine vers une péricardite, mais la douleur qui est encore là entraine la mauvaise nouvelle, il va falloir passer la nuit au service cardiologie qui se trouve à un autre endroit, hors de l'hôpital. Avant cela il va falloir attendre la visite d'un cardiologue qui va venir me voir entre deux consultations. Echaudé par l'expérience scanner (entre deux rendez-vous, souvenez-vous), je m'attends encore à poireauter un bon moment.
Je comprends aujourd'hui pourquoi les malades sont appelés des patients; on attend toujours quelque chose, un examen, une piqure, une consultation, un avis, etc. j'aurai passé ma journée à attendre. Le cardiologue a entendu mes pensées et finit par arriver. Il est accompagné de deux internes (celles qui m'ont suivi toute la journée). On décide une échographie pour finaliser le diagnostic. Oui, mais voilà, l'appareil de la salle de réveil n'est pas du même modèle que celui qui se trouve dans le cabinet du cardiologue.
Sketch hilarant de 3 blouses blanches (qui, cumulés doivent bien représenter un bac + 20) tripotant une série de boutons en rognonant comme un vulgaire Claudius devant une énigme informatique.
C'est Aziz qui, comme d'hab., viendra dénouer la situation en branchant la bonne manette au bon endroit. Je commençais, à force de voir cet écran vide malgré le pinceau qui balayait ma vaste poitrine à me demander où était passée ma pompe sanguine. Ça m'a fait plaisir de la retrouver, même si elle m'a pourri ma journée et si elle allait vraisemblablement continuer à m'emmerder le lendemain.
Rien d'anormal, mais il faut tout de même passer la nuit en observation. Aucune place nulle part à des km à la ronde. Je vais donc passer la nuit au service gériatrie. Pour une fois aujourd'hui, je serai le benjamin quelque part.
Couloirs, ascenseur, re-couloirs et arrivée dans une chambre vide à deux lits. Installation côté fenêtre avec vue sur le parc grisâtre heureusement égayé par un parking proche couvert de voitures multicolores. Eh oui, en ces périodes hivernales, faut un parking pour avoir de la couleur. Je dis au revoir à mes deux visiteurs qui ont eu la gentillesse et la patience de partager les deux heures qui viennent de s'écouler.
Bonheur suprême, j'ai le droit de me lever et de me déplacer du moment que ma potence à chlorure de sodium m'accompagne dans mes promenades. J'en profite pour faire 5 ou 6 fois le tour de la chambre. Encouragé par ma toute nouvelle liberté, je décide d'explorer le couloir; je fais quelques mètres quand, avisant quelqu'un qui vient en sens inverse je prends conscience que seule ma partie avant est protégée des regards, l'arrière par contre est offert aux yeux concupiscents d'éventuel(le)s amateurs ou teuses. Je regagne ma chambre à reculons; ça tombe bien, les visiteurs étaient pour moi: infirmières et docteur. Dixième électrocardio de la journée, prise de tension, prise de sang; je viens de faire un voyage de 5 étages, on ne sait jamais.
Le lit, articulé en trois parties a décidé de n'en faire qu'à sa tête (de lit); je m'amuse un peu avec la télécommande, je relève le bas, ça baisse le haut, je baisse le haut, le lit monte d'un cran, je veux baisser la totalité, c'est le haut qui monte. C'est assez amusant finalement et je passe quelques minutes à jouer en essayant de trouver une logique qui me permettrait de deviner ce que le lit va décider de faire. Tout est résolu lorsque je grimpe dessus; sans doute fatigué par la gymnastique qu'il vient d'effectuer, la totalité du lit, pied, tête et centre se met en position basse et ne bouge plus.
Image idyllique d'un lit d'hôpital sur un catalogue.
Après quelques
temps d'utilisation et peut-être en fonction de son appréciation
personnelle du futur occupant, son caractère change du tout au tout.
Etant donnée l'heure, je pense que je n'ai pas été prévu dans la distribution des repas. Je teste le bouton "infirmière"; ça marche à la perfection. Ils m'avaient effectivement oublié. Le plateau arrive : salade de chou cru, cuisse d'une volaille que je n'arrive pas à définir, polenta, yaourt et poire. Ça fait du bien, je n'ai eu qu'un café dans l'estomac depuis hier soir.
Un voisin m'echoit, assez mal en point, il arrive de quatre heures de dyalise et est perclus de crampes. Pas le droit de se lever il va lui falloir lui aussi jouer du pistolet. Toute la soirée ça m'embêtera de circuler alors que lui est cloué sur place. La télé ne le dérange pas, je l'allume pour passer le temps. Pas envie de lire les magazines que mes visiteurs m'ont amené, Marianne et Le Nouvel Obs, Sarko couverturise les deux, beurk! Je passe donc la soirée avec la télé, son réglé minimum pour ne pas déranger avec à gauche un diabétique qui geint et gémit régulièrement et, à droite Sarkozy en deux exemplaires sur ma table de nuit. Il y a des soirées plus sympas ! Point positif, la douleur est passée sous le niveau 5 et j'ai l'impression qu'elle s'atténue depuis que je peux bouger.
Nuit relativement calme interrompue par 5 ou 6 réveils/pipi, mais qu'est-ce qu'ils ont mis dans cette putain de perf, de la bière ? A la fin, je n'amène même plus la potence, je décroche mon pochon de liquide et le trimbale avec moi.
Le lendemain, réveil en fanfare, on vient chercher mon voisin pour lui poser un truc qui va lui permettre d'être dyalisé "confortablement" 3 fois par semaine. Je l'encourage d'un petit signe de tête, on ne s'est pas adressé trois mots depuis que nous sommes ensemble, mais il y a un genre de fraternité. Pauvre gars, il doit avoir une quarantaine d'années et il a déjà l'air bien fatigué. Ça relativise nos bobos. M'enfin, lui, son lit fonctionnait bien. Sur cette mesquinerie assez ignoble, je lui souhaite tout de même mentalement bonne chance.
La ronde des infirmières commence; une fille de salle vient faire la chambre en zyeutant parfois la matinale de Canal+ que j'ai mis en marche. Tout le personnel que j'ai côtoyé depuis mon entrée est formidablement serviable, aimable et même enjoué; ça fait vraiment plaisir. Pour ne pas les traumatiser j'ai collé mes deux Sarkozy dans ma table de nuit avec mon urinal personnel , ils vont très bien ensemble.
Sarkozy après une nuit passée dans une table de nuit (en formica)
en compagnie d'un urinal (en vulgaire plastique translucide)
dans un hôpital (même pas privé) où il faut travailler énormément
pour gagner peu.
Le docteur, une jeune femme avenante , discute un peu avec moi; le cardiologue doit passer pour me voir avant ma sortie prévue juste après. J'attendrai, comme depuis que je suis là. Petit déjeuner assez tardif (près de 9 heures) je commençais à avoir faim; café, 4 biscottes, une ridicule dose de beurre avec une non moins ridicule dose de confiture, mais j'apprécie le tout avec gourmandise.
J'attends. Coups de fil de madame qui s'impatiente et voudrait bien venir me chercher tout de suite. Coup de fil de Babeth; c'est réconfortant. J'attends. Une infirmière passe de temps à autre voir si je n'ai besoin de rien et si tout va bien. J'attaque Marianne. j'attends. Je regarde un film sur Canal, assez plaisant, la vie d'un groupe de personnes dans un appartement loi 48 que sa propriétaire veut récupérer. J'attends. Je termine Marianne. Le repas arrive. Mini salade de tomate (pas de "s" à tomate, il n'y en a qu'une demi), boudin purée, yaourt et deux clémentines. Je relance pour le cardiologue.
Visite de ma copine médecin qui m'annonce que le cardiologue ne passera pas. Il est persuadé à distance que je vais bien et ils ont décidé tous les deux que je pouvais retrouver ma liberté. Super bonne nouvelle. Je repartirai vers 16h30 muni d'un diagnostic : péricardite sèche avec complication bronchique, d'une ordonnance imposante et d'un arrêt de travail de quelques jours.
Arrivée à la maison, bain extraordinairement agréable et indispensable après deux jours d'hôpital, je savoure les retrouvailles avec les miens, mon cadre de vie habituel, mes forums et mes blogs.
La vie est belle et c'est bon la liberté.