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17 janvier 2008

On ne doit plus travailler après cinquante ans

Bob-le-Hotu me dit amicalement :
- Vos petites salades, c'est des fois pas mal. Ça prouve tout au moins que vous avez de l'imagination. Mais ça ne vaut pas le vécu ! Voulez-vous que je vous raconte une histoire vraie ?

Oui ? Eh bien voilà.

C'est l'histoire de mon beau-père Achille, un brave type travailleur comme pas un, honnête comme on n'en trouve plus, et avec ça des principes. D'ailleurs, vous allez voir.
Il était charpentier en fer, le père Achille, et sa femme Mélie, blanchisseuse de son état, à Villemomble, où ils vivaient dans un lotissement. C'était pas la richesse, mais ils tenaient le coup. Elle, avec son petit commerce, et lui dans la charpente. Remarquez qu'Achille était côté comme un as de la partie. C'était peut-être pas un crack, un intellectuel, et même parfois il donnait l'impression de ne pas ouvrir de bonne heure, mais dans la charpente en fer, on n'a pas besoin d'être Jean-Paul Sartre.

Un jour, je tombe en pleine fête de famille. On fêtait les cinquante ans d'Achille. La Mélie avait mis les petits plats dans les grands. Les petits cousins endimanchés étaient là, avec des fables de La Fontaine toutes prêtes; il y avait même des voisins qui faisaient leur numéro, un gonze qui exécutait le poirier sur le buffet Henri II et un autre qui tapait des claquettes. Bref, ça gazait. L'Achille, avec trois ou quatre rouilles de Beaujolais dans le tube avait le tarin comme un coucher de soleil. Ça lui allait drôlement bien, parole.
Tout le monde s'est couché à trois heures du mat' en goualant du Fragson et aussi un grand succès d'époque : On ne devrait pas vieillir quand on est ouvrier. On pleurait. C'était le bonheur.

Le lendemain matin, dans le paddock, la Mélie s'aperçoit qu'il est déjà neuf heures. Elle secoue l'Achille.
- Eh ! l'Achille, t'es en retard pour le boulot.
Lui, il ouvre un oeil :
- Quel boulot ? qu'il fait.
- Et comme sa fifty ne comprenait pas il a développé sa théorie, à savoir qu'il n'y avait plus de boulot, qu'un homme ne devait plus travailler après la cinquantaine et que c'était une question de dignité.
La Mélie, elle, était soufflée:
- Je comprends pas, qu'elle répétait. T'as toujours été un bon ouvrier. T'as jamais manqué un jour. Et maintenant tu parles comme un anarchiste. T'aurais pu me le dire avant. On en aurait discuté.
Mais lui :
- Il n'y a pas à discuter parce que ça va de soi. Un homme ne doit plus travailler après cinquante ans. C'est comme ça.
Elle a bien vu qu'il n'y avait rien à faire. Il était têtu comme un héros. Mais tout de même, elle s'est rebiffée.
- Et si j'en fais autant moi ? Qu'est-ce qu'on boufferait ?
Alors il a répondu d'une voix douce:
- Jamais je ne te donnerais tort. Même si je n'avais à manger qu'un tout petit sandwich par jour. Non, jamais je ne me plaindrais. Mais à cinquante ans, on ne doit plus travailler.
Il a dit encore :
- Je te ferai remarquer que tu n'as que quarante-quatre ans.

A partir de ce jour-là, il s'est installé dans la grasse matinée et à la pêche à la ligne en sifflant des airs guillerets et des petits apéros variés. La Mélie ne décolérait pas. Pourtant, elle ne lui faisait plus de scènes, sachant très bien que ça ne servait à rien, mais elle lui réservait un chien de sa chienne.
Elle avait un plan : travailler dur jusqu'à cinquante ans, mettre des sous de côté pour ne pas trop pâtir, elle, et appliquer la théorie sociale d'Achille : se croiser les bras ... avec un sandwich par jour. Elle riait sous cape en y pensant, surtout qu'aux yeux d'Achille elle paraissait avoir tout oublié.
Et, six ans plus tard, elle fêta ses cinquante ans à elle.
Ca a été encore une belle fête, comme l'autre. Les voisins sont revenus faire leur numéro, mais le gars du poirier, touché par la limite d'age, s'est cassé la gueule sur le buffet Henri II. Les mômes, grandis, avaient remplacé La Fontaine par Prévert. Quant à l'Achille, en pleine forme, il a dégringolé dans sa journée une dizaine de rouilles, sans compter deux rôteuses de Mumm, du huppé d'or à grosse tête ; il a fallu se coucher.

Le lendemain, la Mélie qui ne perdait pas le nord, l'a secoué pour lui envoyer la nouvelle en pleine poitrine, lui dire qu'à cinquante ans une femme ne doit plus travailler, que c'était une question de dignité.
- Hé ! l'Achille, tourne-toi un peu que je t'explique !
Et elle l'a secoué dur.
Elle aurait pu le secouer longtemps.
Il était mort.
Ah ! la vache d'Achille ! Il l'a bien possédée , la Mélie. J'avais toujours pensé que, dans le fond, c'était un mariole.
- Mais elle, qu'est-elle devenue ?
- La Mélie ? Elle l'a suivi de quinze jours. Ca lui avait tellement tourné les sangs d'avoir été roulée par Achille, qu'elle en a fait une maladie mortelle. Et les maladies mortelles, ça pardonne pas ...

travaux

Photo : René Maltête

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Commentaires
D
Ben il a raison Achille. Moi j'ai "retraité" a 51 ans et c'est déjà tard!!!<br /> <br /> Vivons et vivons tout plein. Ça s'en vient Claudius cette retraite. Tu vas crever de joie de VIVRE...
H
Quelle histoire.<br /> Après ça on ne me dira pas que le travail est une valeur humaine hum ?
F
Digne du "Beaujolais nouveau est arrivé" de René Fallet !<br /> :)
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