Les Malassis
Les Malassis, on va dire que c'est "un grand ensemble".
C'est
aussi un recueil de nouvelles édité chez Julliard dans une collection
dirigée par Jean Vautrin. Et c'est Jean Vautrin qui a rédigé le 4ème de
couverture que je vous recopie:
Tiens,
pas trop tôt ! En 42 histoires à la mine de plomb, voilà croqué le
décorum des spectres. La cité achélème. Les ratés du rayon de soleil.
Vilains soirs à crans d'arrêt. Gredins museaux. Viandes humaines et
plantes vertes. Les Malassis ne sont pas des gniasses qui jouent de la
flûte à Disneyland.
Lopeux, sales, criards à entendre, je dirais
qu'ils pompent à la manière des Shadoks. Zoizeaux pas réparables.
Fabriqués gris-obstiné par des éternités de pauvreté et de médiocrité.
Prêt pour l'adultère. Le kilbus. Le contrebond. Ils ne sont pas très
bien aperçus. Z'habitants tous en barres. 6 ou 700 par muraille.
Alvéolés. N'en quel état ! Bâtiment A , bâtiment C. Dardant la vie,
c'est le train-train des horreurs ordinaires.
Daniel Zimmermann
s'y entend en mémoire avariée. Dites ! La façon qu'il bétonne ses fables
! Qu'il invente la légende des années 50. Qu'il brode des menteries sur
les intrigants Chinetoques. Acharné guetteur, doué pour entonner la
voix des escogrus de banlieue rouge, oncle Zimm sait très bien qu'on ne
reboume pas les hortensias sur des décharges.
Son humour, c'est
celui de la bouzillerie. L'onirisme affleure. L'émotion poigne. Rire
garanti. Dans un monde tout en colique, les flics qui sifflent partout,
les chiens montés sur colliers étrangleurs, faut voir et connaître la
façon qu'ils s'accommodent, les Malassis. Quelle leçon !
Fin de citation.
Je n'ai pas trouvé d'images de couverture pour ce livre: pour avoir quelques renseignements sur l'auteur, Daniel Zimmermann vous pouvez aller sur Domaine Public, un site suisse, pour lire l'article d'André Gavillet.
Dans ce livre il nous raconte l'histoire de ces banlieues naissantes après la guerre avec cette population si particulière, source inépuisable d'histoires tendres, cruelles mais emplies d'humanité.
Voici l'une d'elles.
Ce n'est pas tout de suite après la guerre qu'on l'a appelé comme ça.
Avant on disait seulement "le payeur", parfois on ajoutait "des
Allocations". Mais moi je sais ce que je sais et j'ai dans l'idée que,
sans se l'avouer, on pensait depuis longtemps à lui comme au vrai père
Noël. En mieux. Avec celui des mômes on est toujours déçu. On ne reçoit
jamais de lui les commandes sur lesquelles on s'est appliqué. Ou il se
mélange dedans, ou à nouveau, il n'a pas les moyens et au lieu du vélo
demandé, il vous apporte une orange et un sifflet de quatre sous. Et il
ne passe qu'une fois par an. Tandis qu'avec le payeur Noël c'était tous
les mois, entre le 11 et le 14, rubis sur l'ongle, chacun recevant
juste ce qu'il espérait. Et quand je dis "chacun", c'était plutôt
"chacune", je sais ce que je sais, mais chaque chose en son temps.
Maintenant
que n'importe qui a un compte courant, ou s'il est interdit de chéquier
va toucher un mandat à la poste, on a oublié ce que c'était l'attente
du payeur Noël. Plusieurs jours auparavant, on osait envoyer les gosses
"Chez Grégoire".
- Maman elle dit que vous mettiez ça sur la note et qu'elle viendra régler demain ou aprés-demain, sans faute.
L'une
ou l'autre des Mme Grégoire successives hochait la tête et demandait à
son mari d'augmenter le stock de conserves, certaine d'être bientôt
dévalisée en boîtes de sardines, de pâté, de cassoulet, même de crabe.
Partout ce serait le réveillon le soir du passage du payeur Noël.
A
la différence de la paye, l'argent des Allocations appartenait aux
femmes. c'est pourquoi une fois par mois elles dépensaient sans compter
et sans se fatiguer en cuisine, la véritable fête des mères. Elles s'y
préparaient à l'avance, elles briquaient leur ménage, elles se lavaient
la tête, elles mettaient des bigoudis, elles papotaient autour de la
borne-fontaine municipale:
- Moi j'ai comme un pressentiment que c'est pour aujourd'hui.
- Pensez-vous, on est que le 11, d'habitude c'est plutôt le 12 ou le 13.
Enfin
le payeur Noël arrivait sur sa moto, blouson de cuir, casquette,
lunettes, sacoche en bandoulière. Au bruit de la pétarade, les femmes
filaient à la maison, en hâte elles ôtaient leurs bigoudis, elles se
recoiffaient, un dernier coup d'oeil à la glace, le coeur battant comme
pour leur premier rendez-vous, les enfants à l'école, et le mari
soit-disant au travail, je sais ce que je sais.
Il faut dire que
le payeur Noël était bel homme, un grand brun avec une petite
moustache, et galant, toujours le mot pour rire, empochant sans
regarder le pourboire, remerciant de la même façon quel que soit le
montant. Peut-être s'attardait-il une minute ou deux chez les plus
accortes, guère davantage, il était trop surveillé par les voisines
derrière leurs rideaux. Ce qui ne l'empêchait pas de donner rendez-vous
ailleurs à l'une ou à l'autre, je sais ce que je sais.
L'histoire n'aurait peut-être pas eu de fin si on n'avait pas joué à l'Excelsior le film de Christian Jaque l'assassinat du père Noël.
Ca a donné des idées à quelqu'un et la semaine suivante, le payeur Noël
a percuté en moto un fil de fer tendu au travers du chemin de la
Marlière. Un coup de trique entre les deux oreilles pour l'achever, la
sacoche disparue, le vol était le mobile du crime ont conclu les
gendarmes. Ou son maquillage par un mari jaloux, je sais ce que je sais.
(illustration photographique : René Maltête : écoliers cinéphiles)